L’extraordinaire épée en or de Constantin GRAVIER, comte de Vergennes, capitaine-colonel des Gardes de la Porte 1815.
Le 30 septembre 1815, Le roi Louis XVIII décrétait la dissolution de la compagnie des Gardes de la Porte. A cette occasion, Constantin GRAVIER, comte de Vergennes, capitaine-colonel de cette prestigieuse compagnie recevait une épée en or en commémoration de son long service dans les gardes.
Ce cadeau probablement d’origine royale, se présente sous la forme d’une magnifique épée à garde en or finement ciselée de personnages illustres de la royauté, dont Louis XVIII lui-même ainsi que de divinités antiques, Athéna, Apollon, Niké, et des éléments décoratifs néoclassiques qui étaient très en vogue sous l’Empire sous l’impulsion du peintre David et des architectes Percier & Fontaine. La lame est gravée à l’or sur fond bleui : « La compagnie des Gardes de la Porte du Roi » sur une face, sur l’autre : « Au Comte de Vergennes capitaine-colonel. 1er novembre 1815. » Cette date désigne précisément le lendemain du dernier jour de service effectif des Gardes de la Porte.
Cette épée conservée dans la famille jusqu’à aujourd’hui fait partie de ce que ses membres appelaient « le trésor de Vergennes ».
A ce titre, cette épée est emblématique de cette période de retour de la royauté et des Bourbons après les Cent jours, époque où les symboles en vogue sous l’Empire ne sont pas encore effacés. On se contente partout, sur les bâtiments, le mobilier, les documents officiels et également les armes des soldats, de remplacer l’aigle honnie par les fleurs de lys de la royauté. Comme l’écrit Henri Vever dans son histoire de la bijouterie française au XIXe siècle publié en 1906 (1) (La bijouterie française au XIXe siècle 1800-1900), « Aussitôt après la chute de l’Empire, les Bourbons en rentrant en France n’y amenèrent ni goût de l’Art, ni celui du faste. On se contente de remplacer les abeilles et les aigles par des fleurs de lys. »
Réalisée en or, la garde présente plusieurs poinçons malheureusement assez effacés. Si l’un d’eux présent quatre fois figure la « Tête de bébé 2 », poinçon non officiel utilisé par les orfèvres parisiens sur leurs productions d’or de deuxième titre, celui de maître-orfèvre, un losange caractéristique, est lui parfaitement illisible ce qui empêche une identification définitive de l’orfèvre auteur d’un tel chef d’œuvre de finesse, de sculpture et de ciselure.
Cependant à cette époque charnière entre deux régimes, troublée s’il en est, les orfèvres capables d’une telle réalisation se comptent sur les doigts d’une main. On peut citer Boutet, Odiot et Biennais voire Nitot fils. Ils sont tous des maitres-orfèvres qui ont énormément travaillés pour le précédent régime et Napoléon a assurément fait leur fortune. Il existe également d’autres orfèvres plus modestes mais tout aussi compétents.
Les éléments décoratifs
L’étude méticuleuse des éléments décoratifs de cette épée nous apprend qu’ils sont conformes au répertoire néoclassique de Charles Percier : des lignes bien nettes soulignées par des filets, des cercles, des figures mythologiques, dieux et déesses grecs ou romains, mais aussi égyptiens avec le sphynx ou la chimère très présente dans l’œuvre de cet architecte, des motifs floraux, feuilles de laurier, d’acanthes, rosettes antiques romaines et également les symboles du régime, l’aigle ou l’abeille sous l’Empire remplacées par la fleur de lys à la Restauration.
Le pommeau
De forme tronconique, il est orné sur chaque face d’une chimère ailée à tête de lion et queue de serpent, très présente dans l’œuvre de Percier & Fontaine, le sommet ovale représente le portrait de profil du roi Henri IV à tête laurée dans un médaillon perlé. Quoi de plus naturel en 1815, année du retour des Bourbons, que de représenter le fondateur de la dynastie.
La fusée
Celle-ci est typique des productions de Biennais : un médaillon central perlé sur chaque face, sur l’avers (côté plateau de garde) qui représente Louis XVIII de profil, tête à gauche, surmonté d’un faisceau de drapeaux encadré d’une feuille de palme et une de laurier et surmonté d’une rosette, en bas l’insigne des Gardes de la porte : « Deux clefs en sautoir accompagné au milieu d’une épée en pal la pointe en haut surmontée d’une couronne avec un soleil rayonnant brochant sur le tout ». Sur le revers, le médaillon est orné d’une scène mythologique, la déesse Athéna, symbole de la sagesse, de la stratégie militaire, des arts, de l’industrie reçoit une couronne de laurier de la déesse Niké, messagère de la victoire. Cette scène symbolise la relation étroite entre la sagesse et la victoire, elle est également surmontée d’une feuille de palme et de laurier puis d’une figure féminine ailée représentant la victoire tenant dans chaque main une couronne de laurier. En dessous du médaillon, les grandes armes de France formées des trois fleurs de lys sur champ d’azur dans un écu brochant un trophée d’armes. La symétrie entre les deux faces est parfaite. Les tranches sont ornées d’une guirlande de feuilles de laurier avec au centre une rosette. L’ensemble de la fusée est à fond amati ce qui accentue le relief des éléments décoratifs.
La branche de garde
Celle-ci est particulièrement élaborée : elle est représentée sous la forme de deux serpents entrelacés dont la queue unique forme le quillon recourbé et dont les deux têtes viennent s’enrouler à la base du pommeau. Dans la mythologie, notamment égyptienne, le serpent est le symbole de la renaissance et de la régénération mais aussi de la force et de la puissance. La partie centrale de l’arc de la branche est une représentation de la déesse Athéna casquée avec son égide ornée au centre de la tête de Méduse aux cheveux formés de serpents. Elle tient dans chaque main une feuille de palme. Cette association du bouclier et de la tête de Gorgone symbolise la sagesse, la guerre juste et la menace qui pèse sur l’ennemi à cette juste cause. Palmettes et feuilles d’acanthe viennent compléter le décor de cette branche de garde.
La virole
Cette bague qui fait la transition entre la branche et le plateau n’est pas en reste, décorée de deux rosettes, deux petits médaillons sur chaque face figurent Apollon à tête laurée et Athéna avec les cheveux attachés en un chignon serré qui précise son image de déesse guerrière, cette coiffure est le symbole de l’intelligence et de la maitrise de soi. La présence d’Apollon aux cheveux bouclés symbolise la lumière et le soleil, l’excellence dans les arts.
Le plateau de garde
Celui-ci à bordure ornée d’une frise aux feuilles de laurier et à rosette est à fond amati qui fait superbement ressortir le bige (chariot à deux chevaux) montée par une victoire ailée (Victoria) tenant dans la main droite une couronne de laurier, figure souvent présente dans l’œuvre de Percier et qui symbolise la gloire et le succès militaire, plus haut, de part et d’autre de la virole, à droite un médaillon à frise en feuilles de chêne contient les initiales « CV » en lettres anglaises, à gauche les armes de la famille GRAVIER de Vergennes : « Parti : au I, de gueules à trois oiseaux essorants d'argent, ceux en chef affrontés ; au II, de gueules à la croix d'argent et sur laquelle broche (en cœur), un écusson de sable à un cep de sinople et au chef d'azur chargé d'un soleil d'or. ».
Il nous reste à compléter la description de cette épée avec :
La lame
La lame est droite à pans creux jusqu’à la moitié et dos plat. A l’origine entièrement bleuie, celle-ci n’a conservé cette finition que sur le premier tiers, dans les pans creux on distingue un cartouche à filet d’or avec feuilles d’acanthe et rosettes aux extrémités et en lettres d’or, sur une face : « La Compagnie Des Gardes De La Porte Du Roi », sur l’autre : « Au Comte De Vergennes Capitaine Colonel. 1er Novembre 1815 ». Sur le dos le devise des Gardes de la Porte : « Custodes Regum Antiquiores » (Les anciens Gardes des Rois)
Le fourreau
Celui-ci est en bois recouvert d’une fine peau de serpent teintée en noir, la chape élégante et aux lignes pures soulignées d’un filet amati est ornée de deux bagues, celle du haut soulignée d’une frise festonnée, celle du bas, plus large de quatre rosettes sur un fond amati, le bouton figure une palmette et trois rosettes. La bouterolle est décorée de la même manière avec une bague intermédiaire ornée d’une frise de feuilles d’acanthe doublée d’une frise perlée dont l’extrémité est un dard sphérique en argent.
Etui de transport
Etui de transport en forme en bois recouvert de maroquin vert frappé des initiales « DV », doublé de soie blanche, fermant par huit petits crochets en cuivre argenté. (accidents à l’étui au niveau du clavier)
Longueur totale avec fourreau : 98,3 cm
Longueur totale sans fourreau : 95 cm
Garde : 16,7 cm, largeur maximale : 8,7 cm
Lame : 79,3 cm, largeur : 2 cm
Fourreau : 82,7 cm
Poids brut avec l’étui : 991 gr.
Poids brut avec le fourreau : 681 gr.
Poids brut sans le fourreau : 544 gr.
Poinçons
Poinçon d’orfèvre en forme de losange mais malheureusement illisible, frappé sur chacune des faces de la fusée, sur la face interne de la branche et sous le clavier de la garde. Ce poinçon semble avoir été rendu illisible volontairement avec un matoir dont l’extrémité est grenue.
Poinçon d’essai « Tête de bébé 2 » (1798-1838) sur la chape et le bracelet. Ce poinçon, non officiel, fut utilisé à cette époque par les orfèvres parisiens sur leurs productions d’or de deuxième titre (840/1000e). La dernière épée en or de Biennais passée en vente en 2015 (Maître Rouillac, Vendôme, 7 juin 2015) dite du trésor du Duc de San Carlos est frappée des mêmes poinçons.
Un troisième poinçon est présent à l’intérieur de la garde sans doute celui de la garantie mais il est effacé, par sa forme il pourrait s’agir de la tête de lion de la grosse garantie.
Etat de conservation
Cette épée est en très bel état de conservation ayant été protégée par son étui. Un filet à la base de la fusée est fendu. La lame présente des piqures et tâches d’oxydation sur la partie non bleuie qui semble avoir été frottée anciennement soit environ les deux tiers de celle-ci.
Très bon état
Historique
Cette épée de grande valeur a donc été offerte au commandant des 50 Gardes de la Porte du Roi. C’est reconnaitre le prestige immense de cette charge et de celui qui la personnifie. Considérés comme les plus anciens gardes de la maison militaire du Roi de France « La compagnie des gardes de la Porte du Roi est si ancienne qu’on ne connoit point l’époque de sa création, qui, à ce qu’on doit présumer, est du commencement de la monarchie » (2)
Leur mission est de constituer la première garde intérieure des rois, aux principales portes d’entrées des palais, châteaux, maisons royales et autres, où Sa Majesté est en personne. Ils doivent veiller à la police intérieure de la cour et sur les « honneurs du Louvre ». IIs ne doivent « …de ne laisser entrer dans ladite cour aucune personne à cheval armée ou autrement, ny aucune espèce d’hommes ayant querelle ou malfaiteuse, les moines, ou autres personne malvêtue et dans le cas d’être soupçonnée et dans ces occasions où ils craindroient d’être forcés dans leurs postes conformément aux anciens réglemens. » (Arch. Nat. O1 3678, Maxime Blin op. cit.) Ils ont la possibilité de se saisir des contrevenants et de les remettre entre les mains de la Prévôté de l’Hôtel. Ils gardent également les principales entrées du quartier du Roi à l’armée. Ils sont présents lors des grandes cérémonies, escortent les souverains, assurent leur sécurité comme autant de gardes du corps. Leur mission et leur organisation est sensiblement la même que celle des Gardes du Corps ou des Cent-Suisses mais leur périmètre est différent. « En tant que surveillant de la grille royale, ouvrant sur la cour royale, première cour du logis du Roi, leur rôle est considérable quant à la sécurité du souverain ». (Maxime Blin op. cit.)
Appartenir à ce corps composé seulement de 50 gardes (augmenté à 80 à la fin du règne de Louis XVI), et de cinq officiers est un privilège immense : il faut être gentilhomme et avoir servi dans l’armée royale, être catholique et mesurer « cinq pied cinq pouces et demi de haut » (environ 1,78 m). La charge de capitaine « a esté possédé par des personnes de considération distinguées par leurs naissances et par leurs dignités ». (Maxime Blin op. cit.). Ceux-ci prêtent serment entre les mains du Roi, honneur très envié à la cour. Ils appartiennent aux plus grandes familles de la Cour. Leurs privilèges sont immenses, ils reçoivent le titre d’écuyer dès leur entrée en service, des lettres de noblesse après trois générations directes dans la compagnie. Ils bénéficient de nombreuses préséances et reçoivent la croix de Saint Louis selon l’ancienneté et des grades supérieurs s’ils passent à l’armée royale.
Constantin GRAVIER, comte de Vergennes
Fils de Charles GRAVIER comte Vergennes, diplomate envoyé extraordinaire du Roi à Constantinople en 1755 et nommé ambassadeur, poste qu’il occupe jusqu’en 1768. C’est pendant ce long séjour, en 1761, que nait Constantin. En 1777, il entre au service âgé de 16 ans comme enseigne au drapeau au régiment des Gardes françaises. En 1780, il est sous-lieutenant en second. Trois ans plus tard, le 7 décembre 1783, il est nommé capitaine-colonel des Gardes de la Porte du Roi, poste prestigieux s’il en est et dont l’achat de la charge n’a certainement été possible que par la position de son illustre père alors brillant secrétaire d’état aux affaires étrangères du Roi Louis XVI.
Mais la compagnie des Gardes de la Porte est réformée par l’ordonnance du 30 septembre 1787 « Sa Majesté, ayant jugé nécessaire d’après son plan général de diminuer considérablement les troupes composant sa garde pour le service près de sa personne… ». A cette date Constantin qui était mestre de camp en second du régiment de Dauphin Dragons, grade possible à son âge que par son passage aux Gardes de la Porte, venait d’être nommé ministre du Roi à Coblence près l’électeur de Trèves, poste qu’il occupe jusqu’en décembre 1791. Pendant les troubles révolutionnaires, il demeure en Allemagne où il prendra la tête de nouveau des Gardes de la Porte du Roi sous la dénomination de compagnie de l’Institution de Saint Louis. Il participe à la campagne de 1792 et reçoit la croix de St Louis en décembre 1795 à 34 ans. En 1802 il rentre en France avec l’accord du futur roi Louis XVIII.
Le 7 juin 1814, lors de la première Restauration, il reprend le service de capitaine-colonel des Gardes de la Porte jusqu’à son licenciement par ordonnance royale de Louis XVIII du 1er septembre 1815. Les Gardes de la porte cessent leur service officiellement le 31 octobre 1815.
Constantin est mis en non-activité en décembre 1815 et admis à la retraite 15 ans plus tard, Il meurt le 12 septembre 1832, dernier de sa lignée et sans descendance.
Parmi les profils de carrière observés, Constantin de Vergennes fait partie de ceux pour qui rentrer dans la compagnie des Gardes de la Porte est une vocation qui couvre l’ensemble d’une carrière. A ce titre il personnifie ces hommes assez peu connus, voire reconnus, du fait de leur petit nombre et que l’histoire a petit à petit oublié.
Expert CNES: L. Mirouze
Sources
(1) La bijouterie française au XIXe siècle 1800-1900.
(2) Archives nationales O1 3678 : Mémoire concernant la compagnie des Gardes de la Porte du Roi. Cité par Maxime Blin : « Les Gardes de la Porte du Roi », l’Harmattan, Paris, 2016.